Voyage dans le quartier d'Empalot, poésie ou narration, comment écrire ce qui nous entoure, quel regard porter sur le quotidien, sur ce que l'on ne voit plus à force de trop le voir ? Comment s'inspirer du réel pour ébaucher un journal du quotidien qui mêlera écriture, récit oral et photographie ? Questions auxquelles l’association « Yaksa » a posé cet été, en collaboration avec la Brique Rouge, à des habitant-e-s au travers d’un stage d’écriture. Et c’est au travers d’ateliers « Fragments de réel » ont pris leur plume, leur appareil photo, leur être, pour transmettre par l’écrit, l’oralité ou la photographie leurs ressentis du moment. C’est sous la direction de Marie Carré que les stagiaires ont pu donc retranscrire et dévoiler un peu d’eux-mêmes dans cette période un peu particulière.
Pour Marie, tout le monde sait écrire, lors d’atelier elle propose des directions, un cadre qui permet de s’amuser et de découvrir des chemins d’écriture. L’atelier n’est pas un cours de français, il s’agit d’aborder la langue sous toutes ses formes et surtout de s’amuser, de découvrir des textes et des auteurs, d’épuiser les clichés, d’inventer et d’imaginer que tout est possible.
L’association
Dans la littérature Bouddhiste et Indouiste, les Yakshas (du sanskrit « Yaksa ») , sont des esprits de la nature, bienveillants, qui protègent les trésors cachés dans la terre et dans les racines des arbres. C’est en 2002 que Marie anime, par hasard des ateliers d’écriture. L’aventure a commencé à 4 puis fil du temps d’autres participants sont venus les rejoindre. Aujourd’hui il y a 5 ateliers réguliers et d’autres animations ponctuelles. Marie voit l’atelier comme un laboratoire d’expérimentation autour des mots, c’est pour cela que Marie essaye de multiplier les collaborations, tout en travaillant dans des lieux inspirants. L’association « Yaksa Productions » propose donc des ateliers d'écritures et de créations pour tous et des accompagnements spécifique en « Art-thérapie ».
www.yaksa.fr
Quelques textes réalisés par les habitants du quartier d'Empalot Août 2020.
Machajol - Empalot
Les gens à l'arrêt de bus, un attroupement, des valises. Ils sont masqués, pourquoi ?
Des jeunes, des moins jeunes, , où vont-ils, d'où viennent-ils ?
Ils ont chaud , ils ont soif ?
Pas de bus, pas de métro.
Qu'y a t il dans leurs valises ?
La place est déserte, chauffée par le soleil
Aujourd'hui, plus de bruit que hier,
Les ouvriers travaillent au marteau-piqueur
C'est bruyant,
Le bruit diminue
Le tempo a changé
Autre rythme, mais le bruit est toujours là
Heureusement, le vent bénéfique :
dans les arbres verts clairs, verts foncés,
Dans le cou
Le quartier est en construction
La grue tourne
Les toits blancs des immeubles neufs
L'ombre sur les immeubles
Le facteur
Un homme "noir" habillé en jaune
Un citron jaune sur le panneau publicitaire (Pulco)
Envie de fraîcheur
Le pigeon curieux dissimulé dans les graviers, tacheté,
moucheté, de la même couleur que les graviers
Une moto passe
Un jeune adolescent obèse sur sa trottinette
poche blanche en plastique à la main gonflée par le vent
Va t il faire ses courses ? Ou rejoindre des amis ?
Le moto repasse
Le monsieur assis , hier, à nos cotés n'est plus là
Venait il chaque jour ? à la même heure
Qu'attendait il ? Son bus peut être
Les ouvriers arrosent à grands jets d'eau, la surface du sol
Ils ont un casque, un gilet jaune
Ils doivent avoir chaud
Une fourmi vient me titiller le bras!
Une dame africaine passe avec son bébé
Le voile de sa robe vole au vent
A quoi pense t elle ? Cachée derrière son masque,
à son pays, là-bas si loin ? ...
Une dame parle fort
l'ombre qui bouge
les mouches
La fourmi est revenue
Toujours le vent bénéfique.
Marie - Vendredi à Empalot- 7 août 2020
11H, Empalot, devant la maison Jean Moulin.
Un véhicule de police passe, fenêtres ouvertes, ils n’ont pas de masques. Ils sont trois.
Un engin de chantier rouge LOXAM.
L9 grande halle de l’union.
L5 Portet gare SNCF, je monte je valide, ne pas valider c’est frauder.
Rénovaction 31 du sérieux dans l’action.
Castres Mazamet, le défi.
Empalot, Tisséo, sens interdit sauf bus.
Maison de quartier Jean Moulin, Mairie de Toulouse, cet été je sais où je vais.
Où regarder ? Comment écrire le réel au présent puisqu’au moment où je l’écris il est déjà passé ?
Décrire, écrire les gens qui passent, un homme, une femme, peu d’enfants ce matin.
Un homme barbu, chapeau de paille, téléphone et masque à la main.
Un homme crâne rasé, chemise bleue, lunettes, masque sur le visage, il parle au téléphone.
Un homme casquette blanche, masque sur le visage, polo rayé bleu et blanc.
Une femme voilée et masquée, rapide à décrire.
Deux jeunes femmes passent de droite à gauche et de gauche à droite.
Plus d’hommes que de femmes ce matin, personne à l’arrêt de bus.
Comment décrire quelqu’un qui passe ? Préciser son physique, grand, gros, mince, petit, sa couleur de peau, ses vêtements, son attitude, son allure…
Une toile d’araignée dans les branches de l’arbre, des capsules et des mégots sur le trottoir, des déjections sur le banc en béton, réduire son champs de vision, observer que l’ombre se trouve derrière l’abri bus. Personne n’attend.
Revenir chaque jour pour dessiner le quartier, voir que l’homme qui fait la manche est toujours assis au même endroit, à l’ombre, et que celui qui est venu s’assoir à coté de lui hier est revenu aujourd’hui.
Un homme passe avec deux chaises pliantes à rayures vertes et blanches et un parasol orange.
Où va-t-il ? D’où vient-il ?
Un homme prend un vélib, plus tard un autre homme ramène un autre vélo.
Sur 17 emplacements il y a toujours 5 vélib.
11h quatre personnes sont sortis du L9
11h30 dix neuf personnes sortent du L9
Un livreur passe à vélo
un facteur passe à vélo
l’un est masqué l’autre pas.
Observer les masques, la couleur, la manière dont ils sont portés, observer les chaussures, le bruit des pas sur l’asphalte. Trop de bruit aujourd’hui, engin de chantier, travaux, le béton ça résonne, impossible d’entendre quoi que se soit…
Atelier Écriture Empalot- Août 2020
Longue rue, esplanade, et chantier le site parait vaste.
Les travaux et le Terminus donnent l’impression d’un espace restreint
Des ouvriers travaillent, derrière les broussailles le bruit du compresseur est omniprésent.
A la station vélouse un homme vêtu de noir accroche son vélo.
Une dame âgée, masquée, le pas pressé, essaie de ne pas manquer son bus.
Elle y arrive.
Le L9, métro Empalot, arrive presque vide.
Le 54 passe, vide.
Casquette à l’envers, glacière à la main, un homme traverse en diagonale.
Le L9 stationné se remplit.
Un ouvrier porte un chapeau, une chasuble jaune « SDP », il récupère une brouette.
Au passage piéton, une mère de famille traverse avec sa poussette.
Le plus jeune de ses trois enfants court, prend les devants en éclaireur pour monter dans le L9.
Un Transporter Volkswagen, usé par le temps, le capot rouillé, passe de droite à gauche.
Le L9 part direction L’Union.
L’arrêt de bus est vide.
Deux jeunes femmes arrivent sur ma gauche. La première a une coupe afro blonde.
Elle porte un pantalon léopard orné de fleurs vertes.
Elle avance, le menton haut, la démarche décidée, je suis à la fashion week.
Son amie coiffée de tresses, porte un jeans bleu ciel et un chemisier blanc.
Une 207 noire passe de droite à gauche, son chauffeur, bras tendu vers l’extérieur, fend l’air.
Une dame, menue, en débardeur vert et bermuda beige enlève son masque.
Le 54 arrive, s’arrête, cinq personnes descendent.
L’une d’entre-elle retire son masque, soulagée de respirer à plein poumon.
La 207 noire repasse, le chauffeur n’a que le coude à l’extérieur cette fois-ci.
Une dame, que je suppose originaire du Sahel, ajuste son voile couleur ocre.
Un employé de mairie nettoie la rue. Parle-t-il tout seul ? Non, il a son kit main-libre.
Un petit air se fait sentir. Il agite les branches et les feuilles des six arbres de l’autre côté du Terminus.
Le 54 passe direction Portet sur Garonne.
Une twingo verte passe avec à travers la vitre arrière un chien dont je ne connais pas la marque.
Une mouche se pose à côté de moi.
Un jeune homme sélectionne son vélouse smartphone à la main.
La mouche s’envole suite à mon mouvement du bras droit.
Le jeune homme choisit le dernier des quatre vélos de la rangée.
Le compresseur est toujours aussi oppressant.
Un monsieur fait la manche, il regarde les gens passer.
Il tourne la tête à gauche.
Il tourne la tête à droite.
J’ai l’impression d’être sur le Central de Rolland Garros.
Et je souris en me disant que je fais de même.