Michelle Nadal Interviewée par Christian Dubar 9 septembre 2010
Madame Michelle Nadal, née en 1929, poursuit ses recherches sur le mouvement, l'écriture, et les fondamentaux de la danse. Elle se passionne particulièrement pour la pédagogie, et elle n'hésite pas à s'opposer à un grand nombre d'idées reçues qu'elle trouve la plupart du temps fausses, quand elle ne prétend pas qu'elles sont dangereuses. En tant que directeur de publication du magazine Dansons, de 1990 à 1996, j'ai eu la chance de devenir un de ses amis. Nous avons toujours discuté très sérieusement sur le sujet de l'enseignement de la danse, et en particulier des danses de société. Voici, pour commencer ce portrait, cette semaine, le texte d'une interview qu'elle avait bien voulu m'accorder, en 1995, pour Dansons. Michelle Nadal a relu cet article durant le mois d'août dernier, elle n'a pas souhaité changer un mot, et m'a autorisé à le publier à nouveau. Christian Dubar : Michèle Nadal, vous avez été danseuse et soliste dans de très grandes compagnies internationales, puis professeur au Conservatoire National, à la Sorbonne, à l'École des Arts et Techniques du théâtre. Vous êtes chorégraphe, Chevalier des Arts et Lettres, mais votre notoriété ne vient pas du domaine de la danse de couple. Il peut donc paraître un peu surprenant que nous vous ayons choisie pour participer au jury d'examen de l'Institut de Formation en danses de société. Pouvez-vous m'aider à expliquer ce choix ?
CD : Vous avez effectivement un point de vue sur la formation en danse qui me paraît essentiel pour la danse de couple et de société. Pouvez-vous nous préciser vos idées sur ce point ?
CD : Voulez-vous dire qu'une formation de base doit d'abord toucher un peu à tout ?
CD : C'est effectivement cette conception de l'éducation qui nous attire. Comment s'est-elle forgée en vous ? Un aperçu de votre carrière nous permettrait peut-être de comprendre votre parcours pédagogique ?
CD : Vous avez donc été d'abord danseuse. MN : Évidement. A seize ans, on a rarement envie
d'enseigner. On veut s'extérioriser, s'affirmer, briller, être le meilleur en
quelque chose * Ce qui est évidemment un moteur d'action et un facteur de
progrès, mais que je considère aujourd'hui comme un très gros défaut et une
faiblesse majeure. Vouloir être le meilleur est idiot, il faut vouloir
s'exprimer et ne pas accepter que quiconque s'y oppose, c'est tout. CD : Et le music-hall ? MN : J'en ai fait avec Robert Dhéry et Francis Blanche
auteurs des Branquignols dans lesquels il fallait jouer, danser, chanter, faire
rire… Extraordinaire expérience ! J'ai également plusieurs fois interprété le
personnage de Loïe Fuller à la télévision française, ce qui m'a amenée à
m'intéresser à cette spectaculaire danseuse. Même chose pour le french-cancan.
Mais autant j'ai aimé le danser pour le merveilleux Jean Renoir, autant j'aurais
détesté l'exécuter tous les soirs dans un quelconque music-hall ou cabaret.
Néanmoins ma participation à ce film est sans doute à l'origine de mon goût pour
la danse montmartroise du XIXème siècle. CD : Nous reparlerons tout à l'heure de cet aspect de votre
activité mais finissons d'abord avec la scène. MN : Si j'ai beaucoup dansé (même pour Béjart, au début des
Ballets de l'Étoile) j'ai aussi joué. Jean Vilar par exemple m'a confié le rôle
principal de La Bonne Âme de Se tchouan de B. Brecht au petit TNP. Grande
expérience également. Et puis, beaucoup de télévisions avec Stellio Laurenzi,
Barma, Cardinal, Badel… De belles choses souvent. CD : Vous avez aussi réalisé de nombreuses chorégraphies. MN : Il y a eu une période très riche de mon existence :
celle où j'ai réalisé certaines des chorégraphies magnifiques de Pierre Conté :
Valses nobles et sentimentales et Pavane pour une infante défunte de Ravel,
Calendal de Mistral (Festival lyrique provençal de Jean Deschamps), Les Danses
de "la Punaise" de Maïakowsky (Théâtre de l'atelier André Barsacq), Le Bourgeois
gentilhomme dans le Cirque de Jean Dasté et aussi des Labiche, des Molière, des
Musset ; parfois, comme dans Aristophane, je jouais le rôle d'un coryphée
dansant, chantant, jouant et réalisant la partie (chœur de danse). Et puis j'ai
aussi fait de nombreuses chorégraphies moi-même, et réalisé des bals de style
d'une certaine envergure. CD : Nous n'avons pas encore parlé de l'enseignement. MN : Si j'ai toujours aimé étudier et enseigner, c'est quand
même une série d'accidents graves à la jambe gauche qui m'obligèrent à remettre
en question vers quarante-cinq ans l'orientation de ma vie. J'ai repassé des
examens, un concours d'état pour les conservatoires, repris des études, en
remettant en question les connaissances qui m'avaient été données lors de ma
formation, et, en mai 1968, j'eus la chance que mon projet de formation "danse"
pour les comédiens obtienne la majorité des voix d'une commission ministérielle
pour la création d'un poste de professeur au Conservatoire Supérieur d'Art
Dramatique. J'y suis restée de 1969 à 1994. CD : Vous passez effectivement pour une spécialiste de ces
époques et pour un chercheur important. MN : Ni l'un ni l'autre, cher Christian. Je ne suis
spécialiste de rien, sauf peut-être d'écriture Conté. Et en tout cas, je ne suis
pas ce qu'on appelle un "chercheur". J'ai des amis chercheurs, je note leur
travail, je l'utilise souvent, je sais beaucoup de choses, mais je n'ai
absolument pas les qualités profondes qui définissent le vrai chercheur. Je
reste une fille de spectacle et d'enseignement. Néanmoins je possède cet
inestimable outil qu'est une écriture simple, rapide et musicale, ce qui est
malgré tout un atout énorme dans le domaine de la connaissance. Disons en tout
cas que c'est ce qui caractérise mon travail. C'est aussi ma liberté. Et j'y
tiens. CD : Et puis vous avez aussi mis un pied dans l'univers qui nous
concerne ici, celui de la danse de couple. MN : Je vais même chaque semaine au cours de Denis Grisard
que j'aime beaucoup. De plus, avec ma jambe blessée, c'est le seul plaisir que
je puisse encore m'offrir, du fait que, n'étant pas seule en mouvement, je peux
encore me lancer dans une valse ou une samba en sachant qu'éventuellement, je
peux me raccrocher aux branches. Cher Christian, encore une fonction de la danse
de couple sur laquelle vous ne vous êtes peut-être pas encore penché : la
décrépitude de l'un des deux partenaires. A part cela, qui est réel, il faut
quand même que je sache exécuter un tour de samba à gauche ou un reverse
fallaway de valse lente si je veux avoir une certaine crédibilité dans un jury.
Mais, je laisse les autres membres se prononcer sur l'orthodoxie de l'exécution.
Et je me contente de références généralistes. Nous en revenons à votre question
de départ. CD : Quels sont les conseils que vous aimeriez donner à nos
candidats ? MN : Faites de la musique sous une forme ou sous une autre : chorale, méthodes actives, pratiques instrumentales… Pratiquez aussi les formes traditionnelles anciennes ou régionales. Ne tombez pas dans le maniérisme de la danse à la mode, réunissez-vous pour danser mais éliminez cet esprit de concurrence qui ne peut que nuire à vous-mêmes et aux autres. |